Abou Mohammed al-Julani, de son vrai nom Ahmed Hussein al-Charaa, est l’un des personnages les plus controversés de la Syrie moderne. Connu comme un chef de guerre implacable, il est passé du statut de dirigeant djihadiste du Front al-Nosra à celui d’homme fort de Damas après la chute du régime Assad. Mais qui est réellement cet homme qui concentre autant d’admiration que de crainte ?
Des origines confortables à l’engagement radical
Né en 1981 à Riyad, en Arabie saoudite, dans une famille syrienne de classe moyenne, Ahmed Hussein al-Charaa grandit à Damas. Prometteur, il commence des études de médecine avant de tout abandonner à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Ces événements marquent un tournant dans sa vie et l’orientent vers une radicalisation rapide.
En 2003, il rejoint les rangs d’Al-Qaïda en Irak pour combattre les forces américaines après l’invasion du pays. Sous l’égide d’Abou Moussab al-Zarqaoui, il se distingue par son intelligence tactique et son sens stratégique, ce qui lui vaut de gravir les échelons de l’organisation. C’est là qu’il adopte le surnom d’Abou Mohammed al-Julani, en référence aux hauteurs du Golan, revendiquant son attachement à la cause syrienne.
Le fondateur d’un groupe redouté
En 2011, à la faveur de la guerre civile syrienne, al-Julani retourne dans son pays natal. Il crée alors le Front al-Nosra, une branche syrienne d’Al-Qaïda, qu’il dirige avec une discipline militaire. Sous son commandement, le Front se distingue par ses tactiques de guérilla, ses attentats-suicides et sa violence extrême.
Al-Julani s’impose rapidement comme une figure clé dans le chaos syrien, mais son alliance avec Al-Qaïda lui vaut d’être considéré comme un terroriste mondial par les États-Unis dès 2013. Une récompense de 10 millions de dollars est même offerte pour toute information menant à sa capture.
De djihadiste à chef pragmatique
Malgré son passé, al-Julani tente depuis plusieurs années de se présenter comme un leader pragmatique. En 2016, il renomme son organisation en Hay’at Tahrir al-Sham (HTS) et rompt officiellement avec Al-Qaïda. Cette décision vise à gagner en légitimité sur la scène internationale et à séduire une partie de la population syrienne.
Il s’emploie également à améliorer son image en multipliant les interviews. Lors d’un entretien avec la chaîne américaine Frontline en 2021, il déclare :
« Nous ne sommes pas une menace pour l’Occident. Notre priorité est la lutte contre Assad et Daech. »
Ces paroles cherchent à rassurer, mais elles peinent à effacer les stigmates de son passé.
Un règne autoritaire dans le Nord syrien
À Idlib, où il a exercé son pouvoir pendant des années, al-Julani a établi un régime autoritaire. Son organisation, HTS, y a imposé des lois strictes, des taxes écrasantes et une surveillance constante. Les opposants politiques et les voix dissidentes ont souvent été réduits au silence, parfois par des méthodes brutales.
Pour beaucoup, al-Julani reste un opportuniste, prêt à tout pour asseoir son pouvoir. En février et mars 2024, des manifestations massives ont éclaté à Idlib, dénonçant la corruption, les arrestations arbitraires et la répression. Ces protestations illustrent le fossé grandissant entre le chef djihadiste et une partie de la population qu’il prétend représenter.
Un futur incertain pour la Syrie
L’arrivée d’al-Julani à Damas marque un tournant historique, mais elle ne dissipe pas les doutes sur son véritable visage. Est-il le dirigeant pragmatique et réformateur qu’il prétend être, ou reste-t-il le djihadiste sans scrupules qui a semé la terreur pendant des années ?
Si al-Julani veut se maintenir au pouvoir et reconstruire la Syrie, il devra répondre de ses actes passés et convaincre, au-delà des discours, qu’il peut garantir une paix durable. Pour l’heure, l’homme du Golan reste une énigme, à la croisée de la rédemption et de l’obscurité.